Poème de Charlotte DELBO

Charlotte Delbo, résistante communiste (1913-1985), était l’une des 230 femmes qui, dans le convoi du 24 janvier, partirent en 1943 de Compiègne pour Auschwitz-Birkenau. puis à Ravensbruck. Libérée le 23 avril 1945

Poème extrait de l’ouvrage : Aucun de nous ne reviendra (Les éditions de Minuit)

 

Ô vous qui savez

saviez-vous que la faim fait briller les yeux que la soif les ternit

Ô vous qui savez

saviez-vous qu’on peut voir sa mère morte et rester sans larmes

Ô vous qui savez

saviez-vous que le matin on veut mourir que le soir on a peur

Ô vous qui savez

saviez-vous qu’un jour est plus qu’une année une minute plus qu’une vie

Ô vous qui savez

saviez-vous que les jambes sont plus vulnérables que les yeux

les nerfs plus durs que les os

le cœur plus solide que l’acier

Saviez-vous que les pierres du chemin ne pleurent pas

qu’il n’y a qu’un mot pour l’épouvante

qu’un mot pour l’angoisse

Saviez-vous que la souffrance n’a pas de limite

l’horreur pas de frontière

Le saviez-vous

Vous qui savez